Prolongation des vieux réacteurs de 40 ans: Dampierre, consultation publique de l'ASN

10/01/2021 19:50

CONTRIBUTION SDN BERRY-GIENNOIS-PUISAYE

Notre association est implantée autour des réacteurs nucléaires de Belleville-sur-Loire (18) et Dampierre-en-Burly(45). Nous sommes donc concernés de très près par le projet de prolongation d'activité des réacteurs de ce dernier site au-delà de 40 ans. Nous siègeons, en particulier, à la CLI de Dampierre. Le public est consulté quant à la teneur de l'avis de l'ASN va rendre sur cette question. Voici donc, à partir des divers documents mis à disposition du public, notamment le texte de « Positionnement de l'ASN », notre lecture critique.

 

  1. POSITION GENERALE DE L'ASN

    L'ASN dit elle-même dès le début de son avis que « il avait était retenu à leur conception une hypothèse de 40 années de fonctionnement. » Il en résulte donc qu'« une attention toute particulière doit être portée aux composants non remplaçables comme la cuve et l’enceinte de confinement. » (p 5)

    * Les cuves :

    - d'une part l'acier de chaque cuve a subi un bombardement neutronique tel que ses caractéristiques mécaniques (résilience, ténacité...) sont forcément fortement dégradées. Sommes-nous à l'abri d'un accident nucléaire majeur par propagation inopinée et brutale d'une fissure ?

    - d'autre part, pour certaines cuves de réacteur, « les contrôles réalisés par le passé ont montré qu’elles comportent des défauts de fabrication ». En termes simples, compréhensibles par le public, le site de Dampierre est-il concerné ?

    Une étude de 2012 d'EDF, non publiée, mentionne des défauts sous revêtement sur les tubulures soudées à la cuve qui la connectent au circuit primaire pour un grand nombre de réacteurs, dont Dampierre 2 et 4. Les zones sous revêtement des tubulures et viroles avec des soudures en vis-à-vis du coeur sont à la fois sensibles au risque de rupture brutale après vieillissement et difficilement réparables. Qu'est-il prévu ?

    La page 4 du rapport d’instruction fait état de « … demandes complémentaires pour les cuves concernées par un résultat atypique en amont de leur quatrième visite décennale, à savoir les cuves des réacteurs n° 2 et n° 4 de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly ... » est-ce de cela dont il s'agit ?

    Par ailleurs, EDF avait rendu le 17 juillet 2018 une revue des dossiers de fabrication de pièces par Creusot-Forge. Il apparaissait que, sur 1142 pièces fabriquées pour 42 réacteurs (du pallier 900mW), EDF dénombrait 1775 « fiches d'anomalies » et plus de 42 anomalies par réacteur. Dampierre 2,3, 4 et encore davantage Dampierre 1 étaient concernés.

    Les travaux prévus ont-ils permis de remplacer l'ensemble de ces pièces défectueuses?

    * les enceintes de confinement :

    Rien n'est dit ni préconisé dans l'avis de l'ASN sur la qualité des bétons des enceintes de confinement. Comment ont-ils vieilli ? Les enceintes restent-elles absolument étanches ?

    Dans la 1ère partie de son avis, l'ASN évoque à plusieurs reprises le fait que les travaux devraient « réduire les risques » (de situations entraînant la mise à l'abri des populations, d'accidents avec fusion du cœur..) et de « limiter » les conséquences de ceux-ci.

    Nous affirmons que, pour les riverains, « réduire » et « limiter » ne peuvent suffire.

    Nous n'acceptons aucun risque induit par des choix technologiques qui n'ont jamais été soumis à l'approbation de la population.

  2. CONFORMITÉ DES INSTALLATIONS

    Dans cette partie, l'ASN aborde notamment, outre la conformité des sources électriques, la question de l'alimentation en eau de secours des générateurs de vapeurs.

    C'est l'occasion pour nous de réaffirmer l'opposition que nous avions formulée à des forages en nappe profonde comme source d'eau d'ultime secours.

    Cette nappe profonde est le réservoir d'eau potable de la région Centre-Val de Loire pour les siècles à venir, alors que se profilent sécheresse et canicules. Nous exigeons la preuve formelle que ces pompages ne serviront pas à refroidir le site en cas de sécheresse prolongée et qu'aucune contamination de cette nappe ne peut advenir en cas d'accident nucléaire.

     

  3. RISQUES LIÉS AUX AGRESSIONS

    L'avis de l'ASN aborde un certain nombre de points (séismes, incendies, explosions...).

    Nous insisterons sur les problèmes de refroidissement auxquels la prolongation de 10 ans risque de confronter les sites.

    Pour Dampierre, mais aussi les autres réacteurs le long de la Loire, les occurences de canicules et de sécheresse vont probablement s'amplifier et s'intensifier... qu'en est-il de la capacité de la Loire à assurer le refroidissement en période de bas étiage, qu'en est-il de l'adjonction de climatiseurs et de climatiseurs mobiles qui vont probablement consommer une grande quantité d'énergie (sans parler de risques de fuites de fluide frigorigènes) ?

    Il est également possible que la situation géopolitique ne s'améliore pas et exposent piscines, salles de commandes etc. à des risques d'agressions externes !

    D'autres modes de production d'énergies faiblement carbonées nous exposent à des risques bien moindres !

     

  4. ACCIDENTS SANS FUSION DU COEUR

    L'ASN nous rappelle qu'un accident sans fusion du cœur « peut toutefois conduire à des rejets de radioactivité dans l’environnement. »

    L'avis de l'ASN est que « EDF devra encore poursuivre ses efforts pour réduire les conséquences radiologiques de l’accident de rupture de tube de générateur de vapeur, qui conduit aux conséquences radiologiques les plus importantes. »

    Encore une fois, nous ne saurions nous contenter d'une « réduction » des conséquences !

     

  5. ACCIDENTS AFFECTANT LA PISCINE D'ENTREPOSAGE DU COMBUSTIBLE

    Nous apprenons qu'EDF a prévu de mettre en place, lors de la visite décennale, « un système d’appoint en eau ... », « et un système de refroidissement complémentaire ».

    Il reste à remercier Greenpeace d'avoir alerté sur la vulnérabilité des piscines plutôt qu'à leur intenter des procès !

     

  6. ACCIDENTS AVEC FUSION DU COEUR

    « La fusion du cœur est l’accident le plus grave pouvant intervenir dans un réacteur nucléaire. » , nous dit l'ASN.

    Au cours de la visite décennale, de nouveaux circuits (nouvelles pompes, nouvelles tuyauteries, nouveaux échangeurs de chaleur...) vont être installés. EDF prévoit également

    des dispositions afin de limiter les fuites d’eau contaminée en dehors du bâtiment du réacteur et du bâtiment du combustible ainsi que la dissémination des substances radioactives en dehors du site, par le sol et les eaux souterraines.

    Le terme de « limitation » est toujours insuffisant et inacceptable !

    Par ailleurs, nous apprenons dans le projet de rapport d’instruction de l’ASN que l'étude du risque de fusion du cœur par suite d’une inondation externe n'a pas encore été réalisée à Dampierre-en-Burly et Chinon.

    Enfin, à la page 12 des « Prescriptions » , nous lisons :

    « Au plus tard le 30 juin 2023, l’exploitant transmet à l’Autorité de sûreté nucléaire les conclusions de son programme d’études du comportement des radiers en situation d’accident avec fusion du cœur fondé sur des essais. À la même date, il prend position sur la nécessité d’épaissir les radiers des enceintes de confinement très siliceux. L’exploitant épaissit les radiers le nécessitant. ». Alors qu'en page 154 du projet de rapport d’instruction il est stipulé que les bétons des réacteurs de Dampierre-en-Burly, de Saint-Laurent-des-Eaux et de Chinon sont très siliceux et donc concernés par la prescription !

    Il s'agirait là de travaux complexes et coûteux puisqu'il s'agit de reprendre les fondations du bâtiment réacteur sans déstabiliser celui-ci !

     

  7. MAÎTRISE DES IMPACTS DES INSTALLATIONS SUR L'ENVIRONNEMENT

    L'ASN reconnaît que le fonctionnement normal des sites a des impacts sur l'environnement et demande à EDF de réduire ceux-ci.

    Or, une prolongation de 10 ans entraînera inévitablement :

  • l'augmentation de déchets radioactifs de tous types.

    En 2019, 1273 colis (poids et volume non spécifiés) ont été évacués vers les différents sites de traitement ou de stockage.

    199 tonnes de déchets de Faible et Moyenne Activité à Vie Courte étaient en attente de conditionnement ainsi que 485 objets à Vie Longue... tandis que 1060 colis conditionnés étaient en attente d'expédition.

    Que signifient encore 10 ans de fonctionnement en matière de production de déchets à gérer alors que le projet « ultime » de Cigéo semble bien compromis ?

  • L'augmentation de rejets radioactifs dans l'atmosphère et dans l'eau :

    En 2019, ont été rejets à Dampierre, dans l'air : 1360 millions de Bq et dans l'eau 49,9 milliards de Bq de tritium dont nous attendons toujours des études d'envergure sur l'effet de leur intégration dans la chaîne du vivant ! Sans compter ceux des Iodes et du Carbone 14 radioactifs.

  • Des rejets chimiques en Loire pendant 10 annnées supplémentaires

    En 2019, le site de Dampierre a rejeté en Loire, par ex : 11,7 tonnes d'acide borique, produit insecticide et fongicide dont on connaît mal la toxicité environnementale... A cela, rajouter : hydrazine, morpholine, nitrates, nitrites, ammonium, phosphates et métaux...

  • l'augmentation de la prise d'eau dans la Loire alors que des chercheurs lancent l'alerte à ce sujet (voir le film « Lanceurs d'alerte en Loire ») : 1 réacteur en marche évapore 1mcube d'eau par seconde dans l'atmosphère !

     

L'ASN a bien conscience de ces problèmes puisque, aux pages 15 et 16 de ses presciptions, elle demande à EDF de veiller « ...- à décrire l’incidence des installations sur le climat et la vulnérabilité des installations au changement climatique, notamment en ce qui concerne les rejets thermiques, la gestion des rejets liquides et l’utilisation de la ressource en eau. »

A notre sens, Il ne devrait pas s'agir seulement de « décrire » mais de réduire à zéro !

Par ailleurs, d'autres points ne sont pas pris en compte dans votre avis alors qu'ils ont et auront des impacts sur la sûreté dans les 10 ans à venir :

  • l'augmentation de quantité de combustible MOX usé à entreposer (puisque les 900mW du bord de Loire fonctionnent au MOX!), alors même qu'EDF a pris bien du retard dans l'augmentation de ses capacités d'entreposage d'où le risque de saturation de ses piscines de désactivation!

    Seuls les réacteurs de 900MW fonctionnent au MOX (exception française!) et accentuent le stock de déchets nucléaires très diffiicles à gérer de par leur toxicité et radioactivité ; problème immense non résolu à cette heure de choix pour l'avenir !

  • La perte de savoir faire d'EDF, mise en exergue par le rapport Folz ainsi que le recours massif à la sous-traitance

  • La capacité financière d'EDF, (dont la situation est régulièrement décrite comme entachée par une forte dette) à faire face à la fois au coût de ces travaux et à la maintenance correcte de ses installations 10 années de plus, sans compter le coût de l'EPR de Famanville et des 6 nouveaux EPR envisagés !!! 

  • La vulnérabilité d'EDF en période de pandémie pour assurer la maintenance et tenir son calendrier alors même que l'OMS alerte sur le fait que nous allons probablement avoir à faire face à de nombreux nouveaux virus dans les années à venir !

 

Pour toutes ces raisons, notre association s'oppose fermement à la prolongation de ces réacteurs et demande que les efforts financiers soient plutôt attribués à fermer et démanteler ces installations dans de bonnes conditions tant qu'il en est encore temps.

Sinon, nous invitons les membres de l'ASN à venir s'installer dans le périmètre de 20km autour des vieux réacteurs, afin d'éprouver leur capacité à vivre sereinement.