Nucléaire : Comment les habitants vivent au pied des centrales

02/12/2017 21:08

Alors que le gouvernement vient de reculer sur ce sujet, nous avons rencontré des habitants qui résident à proximité de la centrale de Belleville-sur-Loire (Cher), placée sous surveillance renforcée depuis septembre.

Les trois retraités sont venus se réchauffer aux derniers rayons du soleil en bord de Loire, face aux cheminées de la centrale. Les « deux machins » crachent leur vapeur. Ils ne les voient « même plus, depuis le temps ». De toute façon, il leur « faut bien subir ». À l’époque de la construction de la centrale, dans les années quatre-vingt, Nicole avait signé des pétitions contre son implantation. Plus tard, Mireille aurait bien vendu sa maison, mais on ne lui a proposé « pas même de quoi s’acheter une cage à lapins ». Le nucléaire, ils n’y connaissent rien. Et ne se sentent « pas rassurés ».

Et cela, d’autant moins que l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), qui veille sur les 58 réacteurs d’EDF, a décidé, en septembre dernier, de mettre sous surveillance renforcée la centrale de Belleville-sur-Loire. En cause : « des défaillances de l’exploitant dans l’identification et l’analyse des conséquences d’anomalies affectant certains équipements importants pour la sûreté. Ainsi qu’une hausse du nombre d’incidents significatifs enregistrés sur le site l’an dernier ».

Des informations découvertes « en écoutant la radio », regrette Nicole, qui s’estime « mal informée ». Comme Sandie, mère de jumelles de 6 mois, qui vit, elle, à Léré, « à deux minutes à vol d’oiseau » des tours d’un gris sale. Sandie n’a pas l’intention de regarder ses filles grandir à l’ombre de la centrale. Dès que son mari, infirmier libéral, en aura fini avec son contrat, le couple fuira cette campagne « triste », sous la menace constante d’un accident. Ils déplorent qu’« il n’y ait jamais d’exercice de sécurité. On a juste reçu une invitation à retirer à la mairie une pastille d’iode – comme tous les habitants situés dans la zone de 10 kilomètres autour de la centrale dite PPI (Plan particulier d’intervention). Et trouvé dans notre boîte aux lettres un livret Dicrim [document d’information communal sur les risques majeurs]. »

Or le couple n’a aucune envie de mettre en pratique un jour les consignes à suivre en cas d’accident nucléaire : « Allumer la radio, rassembler ses affaires indispensables dans un sac bien fermé, couper le gaz, l’électricité. Fermer fenêtres et portes à clé. Et attendre de connaître les moyens d’évacuation. Et si la préfecture préconise de prendre la fameuse pastille antidote », destinée à saturer la glande thyroïde et empêcher ainsi la fixation de l’iode radioactif.

«La région ne peut pas vivre sans cette manne»

À 70 ans, Bertile ne quittera pas sa maison d’enfance, une ravissante auberge de mariniers des XIVe et XVe siècles qui fait face à la centrale. La demeure appartient à sa famille depuis quatre générations. Dans les années quatre-vingt, Bertile a, elle aussi, « battu la campagne », distribuant avec quelques copines des tracts et leur petit journal, Le Glas. Mais leur combat ne pesa guère contre l’argument de l’emploi.

« Sans la centrale, ici c’est le désert ! » souligne Olivia qui, avec son mari, Jeannot, gère le restaurant La Loire, à Neuvy. Grâce, notamment, au personnel sous-traitant d’EDF. « Je préfère avoir ça plutôt qu’une usine type AZF [dont l’explosion a fait 31 morts, à Toulouse, en 2001, NDLR], ajoute Jeannot. Ici, au moins, on ne respire pas comme vous des gaz d’échappement. » « De toute façon, la région ne peut pas vivre sans cette manne », conclut Olivia. Fermer le site, ce serait vivre sans les 788 agents EDF et 200 prestataires logés, avec ou sans leurs familles, dans des locations, des hôtels ou des chambres d’hôtes.

Une manne, aussi, pour la mairie de Belleville, qui perçoit de l’entreprise publique 6,8 millions d’euros pour 1 076 habitants, en foncier bâti et non bâti. Ce qui permet au petit bourg de jouir d’une médiathèque. Et d’un centre aquatique ludique. « On y vient de Gien », se félicite le maire, Patrick Bagot, par ailleurs président de la CLI, la commission locale d’information de Belleville-sur- Loire, et vice-président des pompiers du Cher. De son bureau, il est, dit-il, « l’oeil qui surveille cette fabrique d’électricité ». Une veille qui peut le tirer du lit, « y compris pour un incident mineur tel qu’un feu dans la corbeille à papier d’un bureau. Ou le léger malaise d’un employé ». Il est également en lien direct avec le peloton de gendarmerie, uniquement affecté à la surveillance de la centrale. « Tout cela m’inspire plus confiance que les stations-service où les gens fument à proximité des carburants et des stocks de bouteilles de gaz », assure l’édile.

Un avis que ne partage pas Françoise Pouzet, de l’association Sortir du nucléaire Berry-Giennois-Puisaye.

Hormis les risques d’accident nucléaire, la militante met aussi en lumière les problèmes de pollution générés par la centrale et ses rejets de cuivre, zinc, bore, chlore, etc. dans le fleuve.

En septembre dernier, l’association a déposé une plainte devant le tribunal de Bourges contre EDF pour «violation du code de l’environnement, de la réglementation relative aux installations nucléaires de base et du code du travail».

« Lorsqu’on essaie d’informer les gens, ils disent qu’il n’y a rien à faire, ils s’estiment vaincus d’avance », regrette Françoise Pouzet. Tel Don Quichotte, elle poursuit son combat.